Cher collègue,
Vous êtes récemment intervenu dans de nombreux médias, et
notamment dans Libération (le 13/02/2012) et dans le Magazine de la santé sur
France 5 le 14/02/2012. Vous regrettez la polarisation du débat entre la
psychanalyse et les autres approches. Je trouve personnellement que ce débat n'a
pas lieu, car les argumentaires sont produits en parallèle et se rencontrent
rarement. Par exemple, France 5 vous a interviewé sans aucun contradicteur.
Libération juxtapose vos propos à ceux d'un responsable associatif, mais sans
que vous puissiez vous répondre sur des points précis. Et les journalistes qui
vous ont interrogé n'ont pas tous les éléments qui leur permettraient de vous
poser les questions les plus pertinentes, d'apprécier la justesse de vos réponses,
et de repérer celles de vos affirmations qui pourraient être contestées.
Afin de rétablir un véritable dialogue entre deux approches
en apparence incompatibles, je vous propose, cher collègue, de répondre le plus
précisément possible à mes questions ci-dessous. Et, afin d'éclairer au mieux le
débat public, je vous propose de rendre publiques mes questions et vos
réponses, sur
mon blog ainsi
que sur tout autre média approprié.
Bien entendu, si jamais vous aviez été cité incorrectement
dans Libération, ou si jamais vous n'aviez pas pu exprimer correctement votre
pensée sur France 5, n'hésitez pas à rectifier vos propos de manière à ce que
le fond de votre pensée soit absolument clair pour tout le monde.
Sur ce qu'est l'autisme
Dans Libération, vous dites "on parle d’1 enfant sur 150, vous vous rendez compte, ce qui serait énorme. Mais on mélange tout, comme s’il y avait une épidémie d’autisme. Maintenant, on parle des troubles envahissants du développement. Tout cela est incohérent".
1. A. Pouvez-vous préciser votre propos? Qui mélange quoi? Qu'est-ce qui est incohérent?
B. Contestez-vous la prévalence de l'autisme d'environ 1 sur 150, ou 5 pour 1000? Si oui, s'agit-il d'un désaccord sur la définition ou véritablement sur la prévalence de l'autisme tel que défini dans les classifications internationales?
C. S'il s'agit d'un désaccord sur la définition, pourquoi êtes-vous en désaccord avec la définition de l'ICD-10, et quelle définition proposez-vous à la place, basée sur quelles considérations et quelles données? S'il s'agit d'un désaccord sur la prévalence, sur quelles données épidémiologiques vous appuyez-vous?
Dans le Magazine de la santé, vous dites " tout le
monde est à peu près d'accord pour une définition qui serait de dire que :
l'enfant autiste a du mal à ressentir que l'autre existe et qu'un autre est
différent de soi. Il a du mal à prendre en compte l'existence des autres."
Ce n'est pourtant pas la définition de l'autisme que donnent
les classifications internationales (ni même la CFTMEA). Ce sur quoi tout le
monde s'accorde, c'est sur le fait d'inclure dans la définition de l'autisme
une difficulté à établir des relations sociales. En revanche je pense
que la plupart des chercheurs sur l'autisme seraient d'accord pour considérer que
votre affirmation est une surinterprétation sans fondement.
2. Quelles sont les données qui vous
permettent d'affirmer que l'enfant autiste a du mal à ressentir que l'autre
existe et qu'un autre est différent de soi?
Sur les théories de l'autisme
Dans le Magazine de la santé, vous dites "les
psychanalystes en ont un peu assez de cet arrêt sur image qui dit que quand on
est psychanalyste et qu'on veut aider un enfant autiste de manière
psychanalytique on est simplement à la recherche du coupable : la mère ou je ne
sais qui. Mais ça c'est complètement ringard !". Si je vous comprends
bien, vous rejetez les hypothèses psychanalytiques traditionnelles selon
lesquelles les causes de l'autisme se trouvent dans la relation avec les
parents.
3. Est-ce bien le cas?
Dans le documentaire suivant: http://rutube.ru/tracks/5180041.html, qui daterait de 1998 et qui serait encore utilisé à des fins de formation, on peut vous voir avec Serge Lebovici discuter du cas d'un enfant avec un trouble du langage (il n'apparaît pas clairement s'il est autiste ou pas). La seule hypothèse que vous y évoquez pour expliquer le trouble serait celle d'un secret familial concernant son père.
4. A. Ne s'agit-il pas
là précisément du genre d'hypothèses que vous qualifiez de complètement
ringarde?
B. Pouvez-vous expliquez cette contradiction apparente?
C. Si vous avez changé d'avis depuis 1998, envisagez-vous d'en faire état
publiquement, de vous distancier du discours tenu dans ce documentaire, et de
recommander qu'il ne soit plus utilisé pour la formation de professionnels?
Sur les pratiques thérapeutiques pour l'autisme
Dans le Magazine de la santé, vous dites qu'aider un enfant
autiste c'est "l'aider par la relation à admettre qu'un autre existe et
qui n'est pas un danger", ainsi que "mettre des mots sur ses émotions
sur ses angoisses, l'aider à mettre du sens sur ses comportements, ses
stéréotypies".
5. Quelles sont les données à l'appui de ces
affirmations? Quelles sont les données montrant que ces approches aident
réellement les enfants autistes?
Dans Libération, vous dites: "Dans l'autisme, rien
n'est validé, tout marche si on met le paquet, c'est l'intensité de la prise en
charge qui compte", propos que vous réitérez dans le Magazine de la santé.
6. Avez-vous connaissance de ces études? Si
oui, pourquoi répétez-vous que dans l'autisme "rien n'est validé"? Si
non, cette méconnaissance n'est-elle pas problématique pour un chef de service
de pédopsychiatrie?
7. Avez-vous connaissance d'études similaires évaluant
des prises en charges psychanalytiques de l'autisme, publiées dans des revues
scientifiques internationales? Si oui, pouvez-vous en donner les références? Si
non, sur quelle base préconisez-vous leur usage?
Dans le Magazine de la santé, à l'appui de l'efficacité des
pratiques psychanalytiques, vous évoquez "des choses en cours de
validation", ainsi qu'une étude pilotée par Geneviève Haag et vous-même.
Je trouve admirable que de telles études aient lieu, y compris l'essai clinique
sur le packing de Pierre Delion, car en tant que chercheur, je considère qu'il
faut bien que la recherche se fasse pour que l'on apprenne quelque chose.
8. Mais pourquoi si tard? Comment se fait-il
qu'en 2012 vous ne puissiez faire référence qu'à des études en cours? Depuis
plus de trente ans que des enfants autistes font l'objet de prises en charges
psychanalytiques en France, comment se fait-il que des données n'aient pas été
collectées systématiquement, et que des évaluations rigoureuses n'aient pas été
conduites beaucoup plus tôt?
J'attends, cher collègue, vos éclaircissements avec
impatience.
Bien cordialement,
Libellés : autisme, golse, psychanalyse, troubles du langage