Lettre envoyée à la Rédaction du Point le 16 avril 2012, faisant référence au dossier "Elysée 2012: le diagnostic des psys" publié le 5 avril 2012.
Qu'est-ce qui a bien pu pousser
le Point à infliger à ses lecteurs 20 pages de psychologie de comptoir sur les
candidats à l'élection présidentielle? De détails indécents sur la vie privée
des candidats en spéculations oiseuses sur leur enfance, leurs souffrances
psychiques, leurs gestes ou leurs partenaires sexuels, les "psys" du
Point ne nous épargnent aucun poncif, aucune interprétation alambiquée, aucune
théorisation vaseuse.
De deux choses l'une:
-
Soit ces "psys" ont réellement rencontré chacun des candidats, ont
recueilli leurs confidences, les ont questionnés et testés à l'aide d'outils
psychologiques validés, et ont ainsi pu mettre à jour de manière rigoureuse des
ressorts profonds de leur personnalité; dans ce cas le résultat de ces analyses
est protégé par le secret professionnel, ces "psys" commettent une
grave faute déontologique en les confiant à des tierces personnes*, et le Point
commet à son tour une faute déontologique en les révélant au public.
-
Soit ils n'ont recueilli aucune information privilégiée sur les candidats, se
basant juste sur ce qu'ils ont pu en voir à la télévision et en lire dans leur
biographie, et spéculant librement sur ces maigres éléments avec pour seule
contrainte la fidélité à des concepts théoriques dépassés et à un discours
abscons; auquel cas ce dossier n'apporte strictement rien de plus au débat
politique que n'importe quelle discussion au comptoir d'un bistrot. Il aurait
peut-être été à sa place dans la presse "people" entre le thème
astral des candidats et le dernier régime minceur, mais sa publication
déshonore un magazine d'information réputé sérieux comme le Point.
Les médias français doivent enfin comprendre que la psychologie n'est pas juste
un discours littéraire destiné à épater la galerie, mais une discipline à la
fois clinique et scientifique, basée sur des connaissances rigoureuses sur
l'être humain. Ces connaissances sont établies par l'observation et
l'expérimentation, et contraintes par les mêmes principes de réfutabilité et de
parcimonie que dans les autres disciplines scientifiques. La psychologie, qu'il
s'agisse de son versant scientifique ou de son versant clinique, n'est
pratiquée que par des personnes ayant reçu une formation universitaire de haut
niveau, ce qui la distingue notamment de la psychanalyse, qui ne requiert
aucune compétence particulière. La psychologie devrait être traitée dans les
médias avec autant de sérieux et de rigueur que l'astrophysique ou la
cancérologie, par des journalistes ayant un minimum de formation scientifique.
Je demande donc à la rédaction du Point de cesser de ridiculiser la psychologie
en la présentant comme un exercice verbeux de divertissement, détaché de toute
justification scientifique et de toute obligation déontologique. Ceci implique
notamment d'arrêter de confondre psychologie et psychanalyse, cette dernière
n'étant qu'une approche théorique parmi d'autres, qui en l'occurrence a perdu
depuis bien longtemps toute légitimité scientifique et ne mérite pas le crédit
dont elle bénéficie encore au sein des médias français.
Franck Ramus
* Je fais ici référence aux codes de déontologie auxquels adhèrent les
psychiatres et les psychologues, qui leur imposent notamment de tenir
confidentielles les données personnelles relatives à leurs patients. Les
simples psychanalystes, eux, n'ont ni code de déontologie, ni ordre
professionnel, ni même diplôme ou formation spécifique. Ce qui peut expliquer
pourquoi ils se sentent si libres de dire n'importe quoi sur n'importe qui.
PS: On me signale dans l'oreillette que j'ai été précédé dans cet exercice par un certain Igor Thiriez, qui avait dans un style plus parodique assassiné un dossier similaire paru dans Marianne en juillet 2011. C'est avec plaisir que je renvoie à son texte qui complète le mien à merveille.Libellés : médias, politique, psychanalyse