La décision d'un tribunal allemand d'interdire la circoncision en se
référant à la Charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne est une
occasion sans précédent de faire progresser la liberté de conscience pour tous
les citoyens européens. Même si le jugement est singulièrement limité à
une seule pratique religieuse et est motivé par l'atteinte incontestable à
l'intégrité physique de l'enfant et par les risques médicaux encourus, la
question est désormais posée: est-il acceptable de faire entrer de force dans
une religion des enfants qui ne sont pas en âge d'y consentir librement?
La capacité limitée des enfants à donner un libre consentement bénéficie
déjà d'une large reconnaissance juridique et d'un consensus total au sein de la
population. Pensons par exemple au fait que le législateur a éprouvé le besoin
de définir un âge de la majorité sexuelle (fixé en France à 15 ans), en-deçà
duquel la personne n'est pas supposée être en mesure de consentir librement à
des relations sexuelles (avec des personnes majeures susceptibles de les
manipuler). On rappellera également que l'endoctrinement des enfants au sein
des religions non reconnues (désignées sous le vocable péjoratif de sectes) est
une préoccupation constante de l'Etat français, par l'intermédiaire de son
organe la Miviludes. Or il n'existe aucun critère objectif différenciant les
religions bénéficiant d'une reconnaissance officielle des autres qui sont
qualifiées de sectes, et d'ailleurs le
législateur n'a jamais été en mesure ne serait-ce que de définir le
terme de secte. Ces quelques évidences aboutissent à la question suivante:
Comment peut-on considérer comme inacceptable que des enfants soient impliqués
dans certaines pratiques (en l'occurrence, sexuelles, ou religieuses
appartenant à des religions non reconnues) à un âge où ils sont présumés ne pas
pouvoir y consentir librement, tout en trouvant normal qu'ils soient
embrigadés, au même âge, et de toute évidence sans leur consentement, dans
d'autres pratiques, en l'occurrence religieuses appartenant à des religions établies?
Il y a là une contradiction logique et juridique que les tribunaux devront bien
un jour reconnaître, et en tirer toutes les conséquences.
La liberté de conscience, garante de toutes les libertés religieuses,
présuppose en effet que les êtres humains sont libres de choisir leurs
croyances. Or la plupart des religions ont bâti leurs empires précisément sur
l'embrigadement précoce d'individus trop jeunes pour disposer de cette liberté.
Et elles tiennent plus que tout à ce pouvoir, si l'on en croit les réactions de
toutes les autorités religieuses (y compris chrétiennes, bien qu'a priori non
concernées) au jugement allemand, ou
si l'on en croit la résistance de l'église catholique aux demandes croissantes
de débaptisation.
Ainsi, comme le reconnaît le rabbin David Meyer, il y a un conflit franc
et massif entre la Charte des droits fondamentaux de l'Union
Européenne et le modus operandi des religions. Il choisit de résoudre ce
conflit en mettant en cause la première, au motif qu'il est des choses qu'on ne
choisit pas, et qu'en particulier on ne choisirait pas d'être juif. Cette
affirmation présuppose que le judaïsme est une propriété consubstantielle de
l'individu, à l'instar de son ethnie ou de son groupe sanguin. Mais, s'il est
vrai qu'on ne choisit pas son ethnie ou son groupe sanguin, il s'agit là de
propriétés naturelles de l'individu qui ne sont en aucun cas imposées par
d'autres personnes. Le judaïsme, lui, n'est pas une propriété naturelle, et la
conception ethnique du judaïsme est au mieux une idéalisation. Le judaïsme, comme la
plupart des autres religions, est ouvert depuis des millénaires aux conversions
venant de toutes les ethnies. Puisqu'il est possible de choisir une religion, judaïsme ou autre, en toute
liberté et en pleine connaissance de cause, il n'y a aucune excuse pour que ce
ne soit pas systématiquement et obligatoirement le cas. La liberté de
religion n'est pas la liberté d'imposer sa religion aux autres, fussent-ils ses
propres enfants.
Le baptême (et ses avatars dans d'autres religions), s'il peut paraître
bien anodin, pose problème en tant que premier acte d'une longue série de rites
d'appartenance et d'étapes d'endoctrinement. Il accrédite l'idée qu'il est
normal que de jeunes enfants héritent automatiquement et sans leur consentement
de la religion de leurs parents. Par ailleurs le baptême n'est pas juste une
cérémonie privée impliquant uniquement le libre choix des parents, c'est une
initiation officielle pratiquée par des autorités religieuses dont les
motivations profondes peuvent être très éloignées de celles des parents, et qui
l'utilisent pour s'assurer un endoctrinement et un recrutement optimal de la
génération suivante. Le principe même du baptême étant donc en contradiction
patente avec la liberté de conscience, il faut y renoncer. Au-delà du baptême
et de la circoncision, ce sont toutes les formes d'endoctrinement et
d'initiation précoces qui sont à bannir: catéchisme, professions de foi,
communions…
La France s'honorerait en garantissant à tous ses enfants la liberté de
conscience, liberté qui leur est déjà acquise en droit mais qui a été
systématiquement bafouée jusqu'à présent. Il est donc temps d'envisager
sérieusement d'interdire tous les rites impliquant l'appartenance d'enfants à
une religion et toutes les formes d'endoctrinement religieux, soit jusqu'à
l'âge de leur majorité civile, soit jusqu'à l'âge d'une majorité religieuse qui
serait à définir par le législateur, mais dont on comprendrait mal qu'il puisse
être inférieur à celui de la majorité sexuelle.
Libellés : justice, religion