Dans le débat sur le mariage pour tous, il y a lieu de
distinguer deux aspects distincts, et potentiellement indépendants: la réforme
de l'accès au mariage, et les conséquences induites sur la notion de filiation.
Distinguer clairement les deux, et les discuter séparément, permettrait
certainement au débat de gagner en clarté et en rationalité. Le second aspect
portant sur la filiation, qui cristallise la plupart des critiques, semble
opposer irrémédiablement les partisans d'une filiation "naturelle",
c'est-à-dire génétique et gestationnelle, et ceux d'une filiation
"sociale" ou symbolique. Mais pourquoi donc faudrait-il choisir?
La réalité nous impose de constater que les personnes qui
jouent concrètement le rôle de parents d'un enfant n'en sont pas toujours les
parents biologiques. Il importe que dans ces situations, l'absence complète ou
partielle de liens biologiques ne conduise pas à discriminer où à diminuer les
droits fondamentaux à la fois des enfants et des personnes qui s'en occupent. Néanmoins
il n'y a pas de raison fondamentale pour laquelle la reconnaissance de ces
situations devrait conduire à nier la réalité biologique. L'existence d'une
grande diversité de situations familiales ne change strictement rien au fait
qu'un enfant est biologiquement l'assemblage de la moitié du génome d'un homme
et de la moitié du génome d'une femme, porté à maturité dans l'utérus d'une
femme pendant le temps de la gestation. Ces données, elles aussi, sont
importantes pour l'enfant.
Pourquoi donc ne pas envisager que l'état civil enregistre
tout simplement l'ensemble de ces informations? L'acte de naissance d'un enfant
pourrait ainsi mentionner: 1) mère génétique; 2) père génétique (présumé, jusqu'à
établissement éventuel d’une preuve par un test génétique); 3) mère
gestationnelle (potentiellement distincte de la mère génétique dans le cas des
mères porteuses); 4) parent civique n°1; 5) parent civique n°2; 6) parents civiques
additionnels (éventuellement, car finalement rien n'impose plus de limiter leur
nombre à deux). Bien entendu, dans la majorité des cas, le même nom figurerait
dans les catégories 1, 3 et 4, le même nom figurerait dans les catégories 2 et
5, et la catégorie 6 serait vide. Mais au moins l'état civil serait à même
d'enregistrer toutes les autres situations, sans perte d'information. Certains
champs (notamment 1 et 2) pourraient porter la mention "inconnu" ou "anonyme"
dans les cas où l'information est manquante ou a été rendue délibérément inaccessible
(don anonyme de gamètes). La loi devrait bien évidemment garantir aux parents
biologiques (1, 2, 3) un droit par défaut à la parenté civique, sauf dans
certains cas bien spécifiés: renoncement exprès à la parenté civique,
accouchement sous X, non reconnaissance par un père, abandon, etc. Après la
rédaction initiale de l'acte de naissance, les différentes catégories devraient
pouvoir être modifiées via des procédures adéquates, afin de refléter l'évolution
éventuelle des rôles parentaux (par adoption par exemple) et des connaissances
sur l’identité des parents biologiques.
On voit donc que la reconnaissance officielle des
différentes formes de parenté civique n'implique absolument pas d'effacer ou de
nier la parenté biologique. Il importe de faire la place aux deux. Au-delà de
la parenté biologique et de la parenté civique, on peut encore distinguer la
parenté symbolique, c'est-à-dire le fait que certaines personnes vont être
désignées à l'enfant sous le nom de "maman", "papa", et
autres, et que des informations explicites vont éventuellement lui être
fournies. Ces informations vont bien sûr déterminer la représentation mentale que
l'enfant se fait de sa famille et de sa filiation. Bien que nombre de
psychanalystes et d'ecclésiastiques mettent en garde contre un bouleversement
de l'ordre symbolique établi, qui selon eux serait susceptible de nuire à
l'équilibre psychologique et moral de l'enfant, ils n'apportent à l'appui de
leurs affirmations aucun fait mesurable, aucune donnée épidémiologique ou
psychologique objective. Il serait invraisemblable que dans une démocratie
laïque la prise en compte par la loi de la diversité des différents types de
parenté et de filiation doive prendre en compte de simples croyances dogmatiques.
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