Lettre adressée à Mme Anne Americh, revue Prescrire, suite à son courriel en réponse à mon interpellation dans l'un de mes articles précédents, dans lequel j'écrivais:
"Est-ce par simple ignorance, ou par malhonnêteté, que l'auteur anonyme de cet article dans la revue Prescrire passe
sous silence la trentaine d'essais cliniques et les méta-analyses
publiés dans les revues scientifiques internationales, établissant la
supériorité de ces interventions éducatives et comportementales sur un
certain nombre d'interventions ou de situations contrôles? Cf. les références en bas de cette page.
Comment se fait-il que la revue Prescrire, qui fonde sa
réputation sur une rigueur scientifique irréprochable et sur la primauté
absolue donnée aux résultats des essais cliniques par rapport au
marketing et au lobbying, et qui dans bien des domaines n'hésite pas à
remettre en cause les croyances les plus solidement ancrées parmi les
médecins français lorsque les données cliniques l'imposent, adopte ici
une attitude diamétralement opposée, relayant sans aucun esprit critique
les croyances des pédopsychiatres psychanalystes français en dépit des
données scientifiques? N'y a-t-il pas là deux poids, deux mesures, un
double standard totalement injustifiable?"
Chère Madame,
Le principal argument qui est avancé à l’appui du rejet de la
recommandation de la HAS est l’absence de consensus parmi les participants et
parmi les relecteurs, majoritairement des pédopsychiatres et autres
professionnels français. Ce fait est incontestable. Mais depuis quand est-ce un
critère de validité d’une recommandation ? Dans d’autres domaines, la
revue Prescrire ne s’embarrasse pas d’une telle considération. Par exemple,
lorsqu’il s’agit de dénoncer le faible rapport bénéfice/risque du dépistage
systématique des cancers du sein ou de la prostate, la revue n’hésite pas à
aller à l’encontre du consensus des
praticiens français. Elle le fait car elle considère que les praticiens
français ne sont pas les mieux placés pour juger de tous les effets de leurs
pratiques, et ne sont pas nécessairement au fait des données scientifiques les
plus récentes. Elle joue parfaitement son rôle en s’appuyant sur les données
publiées dans les revues scientifiques internationales pour préconiser un
changement de pratiques, en dépit des protestations des praticiens français. Sur
le sujet de l’autisme, c’est exactement ce qu’a fait la HAS. En subordonnant la
validation des conclusions de la HAS au consensus des pédopsychiatres français,
vous appliquez un critère qui n’a aucun sens et vous contribuez à freiner toute
évolution des pratiques dans cette spécialité.
Le seul autre argument que vous avancez est que le rapport fait « la
promotion des techniques
cognitivo-comportementales », et « écarte les autres approches sans
argument solide. » D’une part, parler de « promotion des techniques cognitivo-comportementales »
laisse entendre que ces méthodes thérapeutiques (dénigrées comme de simples
techniques) seraient a priori suspectes, et qu’il serait coupable d’en
détailler les résultats positifs. En reprenant à votre compte le langage des
opposants à ces méthodes, vous révélez la manière dont vous les considérez et vous
illustrez précisément le parti pris dont vous vous défendez. Car le rapport de
la HAS ne fait pas de la promotion, il décrit dans le détail les résultats de
tous les essais cliniques ayant été publiés dans le domaine de l’autisme. Le nombre
de pages consacrées à chaque approche est strictement proportionnelle au
nombre de recherches publiées sur le sujet. D’autre part, comment peut-on qualifier
de « sans argument solide » et balayer d’un revers de main une
recommandation basée sur 27 essais cliniques et 3 méta-analyses, qui sont déjà synthétisés
dans les recommandations canadiennes, espagnoles, écossaises et américaines
dont les conclusions sont très proches de celles de la HAS ? Plutôt que de
s’en remettre à l’opinion d’une partie des pédopsychiatres français, les
auteurs de cet article n’auraient-ils pas été bien inspirés de se pencher sur les
données cliniques et scientifiques avant d’émettre un avis aussi lourd de
conséquences?
En effet, il ne vous aura pas échappé que tous les partisans du status quo dans la psychiatrie française
brandissent maintenant l’article de Prescrire comme un trophée, validant opportunément
leur refus de remettre en cause leurs théories et leurs pratiques. Il me semble
que la revue Prescrire se situe désormais à la croisée des chemins : soit
elle est vraiment acquise à la démarche scientifique et à la médecine fondée
sur des preuves, et considère qu’elle doit s’appliquer aussi en psychiatrie et
en psychologie, auquel cas il est crucial pour sa crédibilité de revenir dans
ses pages sur la recommandation de la HAS sur l’autisme, données en mains, et
de ne point se laisser instrumentaliser par certains praticiens français (une
manière de le faire serait par exemple de publier ce courrier, d’ouvrir un
débat, de faire intervenir des experts étrangers sans aucun lien avec le
microcosme français). Soit elle considère que le cerveau humain et ses troubles
échappent comme par magie à l’approche scientifique et à l’examen raisonné des expérimentations
cliniques, et elle abandonne les patients concernés à leur triste sort, auquel
cas il serait honnête d’informer ses lecteurs de cette exception dans son champ
d’action.
Bien cordialement,
Franck Ramus
Annexes :
Florilège des références triomphalistes à l’article de la revue
Prescrire :
Pour faire bonne mesure, la réponse du KOllectif du 7 janvier :
Libellés : autisme, médecine, médias, psychiatrie