Texte soumis le 15/09/2013 et publié comme
éditorial par le
Journal International de Médecine le 19/10/2013, en réponse à
l'éditorial publié par ce même journal le 14/09/2013.
Dans son éditorial du 14 septembre
2013 dans le Journal
International de Médecine, M. Golse commence par regretter que l’année
2012 ait
été « une authentique catastrophe à l’égard de la
psychanalyse ». Se
faisant, il révèle sa préoccupation première, à savoir la survie de la
psychanalyse, bien plus que le sort des enfants autistes. Pourtant, si
la
psychanalyse est sur le déclin en France, il est difficile de l’imputer
à la grande
cause nationale 2012, à un lobbying malveillant ou à une ministre trop
zélée.
En France, comme partout ailleurs dans le monde auparavant, la
psychanalyse
décline du fait de son absence d’efficacité prouvée, et de son
incapacité chronique
à produire des données factuelles à l’appui de la validité de ses
théories et
de ses pratiques. L’année 2012 consacrée à l’autisme n’en a été que le
révélateur pour beaucoup de citoyens et pour les pouvoirs publics.
M. Golse dénonce des enjeux
commerciaux : « certaines
méthodes éducatives préfèrent bien sûr se vendre à une famille sur 150
plutôt
qu’à une famille sur 3 ou 5000 ». S’il est vrai qu’aux USA on
peut
observer des dérives commerciales autour de l’ABA, rien n’oblige à
reproduire
ce modèle en France. Les interventions efficaces peuvent et doivent
être
implémentées dans des institutions publiques sur financement public.
Dans les
faits, les familles françaises qui souhaitent avoir recours à ces
méthodes pour
leur enfant peinent à trouver une offre en réponse à leur demande.
Elles en
sont souvent réduites à s’expatrier (en Belgique, en Suède ou aux USA),
à créer
des associations pour former et recruter des professionnels répondant à
leur
besoin, ou à se former à ces méthodes pour prendre en charge
elles-mêmes leur
enfant. La réalité du terrain est aux antipodes de l’inondation
agressive du
marché suggérée par M. Golse. De fait, s’il y a des intérêts financiers
en jeu,
c’est plutôt du côté du public qu’il faut regarder. La prise en charge
d’un
enfant autiste coûte 600 à 1000€/jour en hôpital de jour, 180 à
300€/jour en
institut médico-éducatif, bien plus que les méthodes qualifiées de
« commerciales » par M. Golse, et a fortiori que
l’inclusion d’un
enfant à l’école avec une auxiliaire de vie scolaire. Ces sommes sont
payées avec
une docilité étonnante par la Sécurité Sociale, bien que l'efficacité
de ces
prises en charges soit totalement inconnue car jamais évaluée
[1].
Des milliers
de professionnels vivent ainsi de l’autisme via les financements et les
remboursements
accordés à leurs employeurs par l’Etat et la Sécurité Sociale. Voilà un
conflit
d’intérêt que M. Golse se garde bien de déclarer.
En allant présenter son livre à
différents interlocuteurs
politiques et administratifs, M. Golse dit avoir « eu la
faiblesse de
croire que le vent avait tourné ». Effectivement, le vent a
tourné, mais
pas dans le sens attendu. Aujourd’hui, il ne suffit plus d’écrire un
livre pour
le grand public français pour s’auto-proclamer
« expert » et pour
être pris au sérieux par les pouvoirs publics. Dans les domaines
pointus de la
recherche médicale et scientifique, l’expertise ne s’établit que par
les
publications dans les revues internationales. Les experts français de
l’autisme
se nomment Catherine Barthélémy (104 articles sur l’autisme, h-index
[2]=
40)
[3],
Marion
Leboyer (94 articles, h= 53), Gilbert Lelord (55 articles, h=25),
Catalina
Betancur (53 articles, h= 33), Thomas Bourgeron (50 articles, h= 31),
Joelle
Martineau (51 articles, h=21), Richard Delorme (33 articles, h=21),
Jean-Louis
Adrien (32 articles, h= 14), pas Bernard Golse (7 articles
[4],
h= 9).
M. Golse réitère son affirmation
selon laquelle la
prévalence de l’autisme est très faible (1 cas sur 5 ou 10000
[5],
contre 1 cas
sur 160 selon les dernières études internationales
[6]),
affirmation qui
repose sur une classification nosologique idiosyncrasique reconnue
exclusivement par les pédopsychiatres psychanalystes français
[7][8],
et qui ignore
toutes les données épidémiologiques, génétiques, cérébrales et
cognitives
collectées sur les troubles du spectre autistique sur les vingt
dernières
années.
M. Golse affirme que « même
en Amérique du Nord, les
professionnels commencent à se défier du tout éducatif qui ne peut être
qu’une
impasse ». On aurait aimé quelques références à l’appui de
cette affirmation.
Car si personne ne croit que les interventions éducatives recommandées
pour les
enfants autistes font des miracles ou marchent pour 100% des enfants,
il ne
semble pas que les psychiatres nord-américains envisagent pour autant
d’embrasser
la psychothérapie institutionnelle à la française, basée sur
l’observation et
l’interprétation freudo-lacanienne des comportements
« singuliers » des
enfants autistes, ou encore sur les notions de
« moi-peau », « d’enveloppe
psychique », de « contenance » et sur des
pratiques telles que
le packing
[9]
ou la « pataugeoire thérapeutique ».
De même, lorsque M. Golse affirme
caricaturalement « Tous
les jours, des parents viennent nous trouver en nous disant leurs
déceptions
face aux méthodes éducatives employées de manière forcenée et
exclusive »,
quelques témoignages authentifiables auraient été les bienvenus. Car à
ce jour,
une seule association (« la main à l’oreille »),
représentant
essentiellement une seule personne (sa présidente Mme Mireille Battut)
défend
publiquement la prise en charge psychanalytique de l’autisme et rejette
les approches
comportementales, quand plus de 10000 familles réunies au sein du
collectif
Autisme demandent exactement le contraire, et quand plus de 13000
personnes ont
signé la
pétition pour défendre les orientations du 3ème
plan autisme
et les recommandations de la HAS.
Le Journal International de Médecine
se destine « à
tous les praticiens pour qui la science ne s'arrête pas aux frontières
de la France ».
Un tel éditorial, en promouvant l’idée que la science doive s’arrêter
aux
frontières de la pédopsychiatrie française, n’est-il pas contraire aux
objectifs affichés du journal ?
[2] Le h-index est une mesure
composite de la production et de
l’influence d’un chercheur. Un h-index de 50 indique que la personne a
publié
50 articles qui ont été cités au moins 50 fois.
[3] Recherche bibliographique
réalisée sur la base de données
ISI
Web of Science. Nombre d’articles sur l’autisme publiés dans
les revues
internationales : Topic=(autis*) AND Language=(English) AND
Address=(France) ; stratification par auteur en utilisant la
fonction
Refine
results. H-index déterminé par auteur (tous articles
confondus) avec la
fonction
Citation report.
[4] Dont 2 en dernier auteur et 0 en
premier auteur.
[8] Cf. Ramus, 2012, Peut-il y avoir
une exception française en
médecine?
Lemonde.fr, 26/09/2012.
[9] Amaral, D., Rogers, S. J., Baron-Cohen, S.,
Bourgeron, T., Caffo,
E., Fombonne, E., . . . van der Gaag, R. J. (2011). Against le packing: a consensus statement. J Am Acad Child Adolesc Psychiatry,
50(2), 191-192. doi:
10.1016/j.jaac.2010.11.018
Libellés : autisme, golse, médecine, médias, psychanalyse, psychiatrie