Dans sa charte, ce collectif
mêle des considérations humanistes à l'égard des patients en psychiatrie qui
peuvent recueillir une large approbation (en gros, les sept premiers points, si
l'on fait abstraction du terme de "folie" qui est anachronique et
donc étonnant de la part de psychiatres), à d'autres beaucoup plus
corporatistes visant de toute évidence à défendre les intérêts de certains
professionnels, en particulier les deux derniers points, qui refusent:
- "L’imposture
des protocoles standardisés pseudo scientifiques déniant la singularité de
chaque acte, de chaque projet soignant, de chaque patient."
S'il s'agissait vraiment de rejeter les pseudo-sciences, tout le monde
serait d'accord. Mais il s'agit là visiblement de protocoles de soins
psychiatriques qui sont justement issus de la médecine fondée sur des
preuves, et dont il est tout à fait fallacieux d'affirmer qu'ils sont
standardisés et qu'ils nient la singularité de chaque patient. Il faut
donc comprendre que ce collectif rejette l'idée même d'une psychiatrie
fondée sur des preuves. (à l'exact opposé du KOllectif du 7
janvier, ainsi que de l'AP4D et du Collectif pour une psychiatrie de progrès)
- "La
mainmise de l’appareil technico gestionnaire tentant d’annihiler, de nier
et d’écraser la dimension créative et inventive de tout processus de
soin."
Il faut ici comprendre que les membres de ce collectif exigent de conserver le
privilège exorbitant de dépenser l'argent public sans jamais devoir rendre de comptes
sur la nature et l'efficacité de leurs pratiques.
Plus bas, il est indiqué "Nous défendrons un enseignement reposant en
particulier sur la psychopathologie". Cette affirmation pourrait sembler
anodine (voire tautologique) à toute personne qui croirait naïvement que
psychopathologie signifie simplement "pathologie psychologique". Mais
encore faut-il savoir qu'en France, la psychopathologie est aussi un nom de
code pour la psychanalyse lorsqu'elle ne veut pas dire son nom. En témoignent
par exemple les dizaines de spécialités de masters en psychologie dont les
intitulés mentionnent sobrement "psychopathologie" alors que leurs
contenus sont quasi-exclusivement psychanalytiques.
Derrière un paravent de bonnes intentions humanistes, ce collectif est donc
aussi un syndicat corporatiste défendant la prétention d'une partie des
psychiatres et psychologues français à faire strictement ce que bon leur semble
avec leurs patients (en particulier pratiquer la psychanalyse), sans avoir à prendre
en compte ni les connaissances scientifiques, ni les résultats des essais
cliniques évaluant l'efficacité des pratiques psychiatriques, ni le droit des
patients à bénéficier d'une psychiatrie fondée sur des preuves, ni celui des
cotisants et contribuables à savoir si leur argent est dépensé de manière
optimale.
Pour parvenir à ses fins, ce collectif produit régulièrement des textes
marqués par une rhétorique outrancière fleurant bon la théorie du complot, la
paranoïa et le délire de persécution, revenant constamment aux "heures
sombres de notre histoire" et n'hésitant pas à dénoncer la barbarie et le
totalitarisme à tout bout de champ. Le ton est donné dès le texte fondateur Un
mouvement pour la psychiatrie:
"Pourtant, peu après le tournant du siècle, l’Etat, mettant en pièce
le fondement démocratique de son assise, fit tomber sur le pays une lourde nuit
sécuritaire laissant l’épaisseur de l’histoire ensevelir le travail de ceux,
Bonnafé, Le Guillant, Daumézon, Tosquelles, Lacan, Paumelle, Lainé et d’autres,
dont nos générations ont hérité du travail magnifique."
Afin de mieux documenter cette fixation (à coup sûr "sadico-anale") sur la terreur
totalitaire, j'ai procédé à des recherches par mots-clés sur le site du
collectif. Voici le nombre d'articles contenant chaque mot-clé (j'ai utilisé
autant que possible des mots-clés tronqués permettant de regrouper les
différents mots d'une même racine):
Armé de quelques mesures objectives sur le registre lexical dans lequel puisent ces textes, on décèle plus clairement de quoi est fait "l'inconscient collectif" des 39. A lire ces textes, on
est d'emblée convaincu que nous sommes à l'aube de la 3ème guerre mondiale, que
les barbares sont à notre porte, armés jusqu'aux dents, prêts à venir jusque
dans nos bras égorger nos filles et nos compagnes. Aucune décence ni aucun sens
du ridicule ne semble pouvoir réfréner la logorrhée produite par ce collectif.
Même si d'ordinaire la meilleure réponse à ce genre de prose me semble être
la moquerie ou la parodie (comme Jean-Marie de Lacan s'en est fait
une spécialité, et comme je l'ai fait ici par exemple), c'est un
curieux incident qui m'a récemment donné envie de décrypter un peu plus
systématiquement l'action de ce collectif et donc d'écrire le présent article.
Les textes du collectif des 39 sont publiés sur son site propre, puis relayés
sur la
page Facebook éponyme, sur laquelle quelques
discussions s'ensuivent, pour la plupart des commentaires positifs de la part
de supporters du collectif, occasionnellement perturbées par le passage d'un
parent d'enfant autiste (la fonction Commentaires a été désactivée depuis longtemps
sur le site du collectif, une partie d'entre eux ayant sans doute été jugés
insuffisamment approbateurs). C'est ainsi qu'un communiqué de presse intitulé
sobrement "Police
de la pensée?" a été affiché sur le site le 20 avril, et immédiatement relayé sur
la page Facebook. Ce communiqué venait en soutien de la lettre ouverte du Dr Drapier protestant
contre le refus de l'Agence Régionale de Santé (ARS) d'Ile-de-France de
rembourser les frais d'une formation psychanalytique (lettre à laquelle le
collectif Egalited a apporté une excellente réponse sur le fond).
Le 27 avril, je me suis permis de poster le commentaire suivant sur la page
Facebook:
"La police de la pensée! Rien que ça! Après reductio ad
Hitlerum, reductio ad Orwellium. Décidément ce collectif ne recule
devant aucune énormité. Pourtant, si on lit bien la lettre de l'ARS, elle ne
comporte aucune interdiction de penser, ni de choisir librement son référentiel
théorique, ni de se former à tout ce qu'on veut, à la psychanalyse, au packing,
à la pataugeoire, aux ateliers-contes, à la scientologie, à l'aura indigo.
Chacun est libre de faire ce qu'il veut. Mais pas avec l'argent de
l'assurance-maladie ou des contribuables. C'est tout ce que dit l'ARS. Et c'est
bien la moindre des choses. Tout le reste n'est que rhétorique paranoïaque et
geignarde."
Puis j'ajoutai un lien vers l'excellente parodie qu'en a fait Jean-Marie de Lacan. Aucune
réponse n'a suivi, les commentaires ultérieurs se concentrant sur d'autres
sujets autrement plus importants. Puis, moins de 48 heures plus tard, le billet
a tout simplement disparu (et les commentaires avec, bien sûr). Plus aucune
trace!
Ainsi, il semble que le collectif des 39 a préféré supprimer son propre
texte de sa page Facebook que de laisser un simple commentaire potache (mais
argumenté) apparent aux yeux de ses lecteurs, et de prendre le risque d'engager
un débat sur le fond. Vous avez dit "Police de la pensée?"
Libellés : collectif des 39, psychanalyse, psychiatrie