Le Collectif des 39 ou la police de la pensée

Le "Collectif des 39 contre la nuit sécuritaire" est un collectif qui défend une certaine idée de la psychiatrie française.

Dans sa charte, ce collectif mêle des considérations humanistes à l'égard des patients en psychiatrie qui peuvent recueillir une large approbation (en gros, les sept premiers points, si l'on fait abstraction du terme de "folie" qui est anachronique et donc étonnant de la part de psychiatres), à d'autres beaucoup plus corporatistes visant de toute évidence à défendre les intérêts de certains professionnels, en particulier les deux derniers points, qui refusent:
Plus bas, il est indiqué "Nous défendrons un enseignement reposant en particulier sur la psychopathologie". Cette affirmation pourrait sembler anodine (voire tautologique) à toute personne qui croirait naïvement que psychopathologie signifie simplement "pathologie psychologique". Mais encore faut-il savoir qu'en France, la psychopathologie est aussi un nom de code pour la psychanalyse lorsqu'elle ne veut pas dire son nom. En témoignent par exemple les dizaines de spécialités de masters en psychologie dont les intitulés mentionnent sobrement "psychopathologie" alors que leurs contenus sont quasi-exclusivement psychanalytiques.

Derrière un paravent de bonnes intentions humanistes, ce collectif est donc aussi un syndicat corporatiste défendant la prétention d'une partie des psychiatres et psychologues français à faire strictement ce que bon leur semble avec leurs patients (en particulier pratiquer la psychanalyse), sans avoir à prendre en compte ni les connaissances scientifiques, ni les résultats des essais cliniques évaluant l'efficacité des pratiques psychiatriques, ni le droit des patients à bénéficier d'une psychiatrie fondée sur des preuves, ni celui des cotisants et contribuables à savoir si leur argent est dépensé de manière optimale.

Pour parvenir à ses fins, ce collectif produit régulièrement des textes marqués par une rhétorique outrancière fleurant bon la théorie du complot, la paranoïa et le délire de persécution, revenant constamment aux "heures sombres de notre histoire" et n'hésitant pas à dénoncer la barbarie et le totalitarisme à tout bout de champ. Le ton est donné dès le texte fondateur Un mouvement pour la psychiatrie:
"Pourtant, peu après le tournant du siècle, l’Etat, mettant en pièce le fondement démocratique de son assise, fit tomber sur le pays une lourde nuit sécuritaire laissant l’épaisseur de l’histoire ensevelir le travail de ceux, Bonnafé, Le Guillant, Daumézon, Tosquelles, Lacan, Paumelle, Lainé et d’autres, dont nos générations ont hérité du travail magnifique."

Afin de mieux documenter cette fixation (à coup sûr "sadico-anale") sur la terreur totalitaire, j'ai procédé à des recherches par mots-clés sur le site du collectif. Voici le nombre d'articles contenant chaque mot-clé (j'ai utilisé autant que possible des mots-clés tronqués permettant de regrouper les différents mots d'une même racine):




Armé de quelques mesures objectives sur le registre lexical dans lequel puisent ces textes, on décèle plus clairement de quoi est fait "l'inconscient collectif" des 39. A lire ces textes, on est d'emblée convaincu que nous sommes à l'aube de la 3ème guerre mondiale, que les barbares sont à notre porte, armés jusqu'aux dents, prêts à venir jusque dans nos bras égorger nos filles et nos compagnes. Aucune décence ni aucun sens du ridicule ne semble pouvoir réfréner la logorrhée produite par ce collectif.

Même si d'ordinaire la meilleure réponse à ce genre de prose me semble être la moquerie ou la parodie (comme Jean-Marie de Lacan s'en est fait une spécialité, et comme je l'ai fait ici par exemple), c'est un curieux incident qui m'a récemment donné envie de décrypter un peu plus systématiquement l'action de ce collectif et donc d'écrire le présent article.

Les textes du collectif des 39 sont publiés sur son site propre, puis relayés sur la page Facebook éponyme, sur laquelle quelques discussions s'ensuivent, pour la plupart des commentaires positifs de la part de supporters du collectif, occasionnellement perturbées par le passage d'un parent d'enfant autiste (la fonction Commentaires a été désactivée depuis longtemps sur le site du collectif, une partie d'entre eux ayant sans doute été jugés insuffisamment approbateurs). C'est ainsi qu'un communiqué de presse intitulé sobrement "Police de la pensée?" a été affiché sur le site le 20 avril, et immédiatement relayé sur la page Facebook. Ce communiqué venait en soutien de la lettre ouverte du Dr Drapier protestant contre le refus de l'Agence Régionale de Santé (ARS) d'Ile-de-France de rembourser les frais d'une formation psychanalytique (lettre à laquelle le collectif Egalited a apporté une excellente réponse sur le fond). 

Le 27 avril, je me suis permis de poster le commentaire suivant sur la page Facebook:
"La police de la pensée! Rien que ça! Après reductio ad Hitlerum, reductio ad Orwellium. Décidément ce collectif ne recule devant aucune énormité. Pourtant, si on lit bien la lettre de l'ARS, elle ne comporte aucune interdiction de penser, ni de choisir librement son référentiel théorique, ni de se former à tout ce qu'on veut, à la psychanalyse, au packing, à la pataugeoire, aux ateliers-contes, à la scientologie, à l'aura indigo. Chacun est libre de faire ce qu'il veut. Mais pas avec l'argent de l'assurance-maladie ou des contribuables. C'est tout ce que dit l'ARS. Et c'est bien la moindre des choses. Tout le reste n'est que rhétorique paranoïaque et geignarde."
Puis j'ajoutai un lien vers l'excellente parodie qu'en a fait Jean-Marie de Lacan. Aucune réponse n'a suivi, les commentaires ultérieurs se concentrant sur d'autres sujets autrement plus importants. Puis, moins de 48 heures plus tard, le billet a tout simplement disparu (et les commentaires avec, bien sûr). Plus aucune trace!

Ainsi, il semble que le collectif des 39 a préféré supprimer son propre texte de sa page Facebook que de laisser un simple commentaire potache (mais argumenté) apparent aux yeux de ses lecteurs, et de prendre le risque d'engager un débat sur le fond. Vous avez dit "Police de la pensée?"

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