Le QI, "c'est n'importe quoi". Oui, mais encore?

A force de m'user les doigts sur ce blog, les blogs des autres, et sur facebook, j'ai fait une grande découverte: dès que l'on écrit le mot "Q.I." quelque part sur internet, on voit rapidement débarquer tout un cortège de gens qui déclarent "m'enfin vous savez pas? le QI c'est n'importe quoi!".

Si on a l'esprit joueur, on peut s'amuser à gratter un peu. Est-ce que vous avez déjà, ne serait-ce que vu, en vrai, une batterie de tests de QI (je ne parle pas des tests bidons sur internet)? Est-ce que vous avez déjà lu ne serait-ce qu'un article, parmi les dizaines de milliers d'articles de recherche qui ont été publiés sur le sujet depuis un siècle? Pourriez-vous nommer, ne serait-ce qu'une théorie scientifique de l'intelligence (autre que la théorie bidon des intelligences multiples de Howard Gardner)? Savez-vous ce qu'est le facteur g, et quelles sont les observations à l'appui de cette notion? Evidemment, à ce stade de la discussion, il n'y a plus personne.

Pour les personnes qui souhaitent sincèrement avoir des éléments de réponse à ces questions, j'ai en fait déjà écrit un article. Dans cet article, j'ai évoqué notamment la question de savoir si le QI couvre l'ensemble des facultés intellectuelles, et si on pouvait l'identifier à une fonction cognitive ou cérébrale unique. Ici, je m'attacherai plutôt à répondre à la question de savoir si le QI est une mesure réductrice ("on ne peut pas réduire l'être humain à un nombre") et si elle est fiable.

Pour mieux comprendre ce qu'est le QI et lui retirer son aura de nombre magique et mystérieux, je propose ce petit résumé: un score de QI, c'est simplement une moyenne des performances des principales fonctions cognitives de l'individu.

Je parle bien entendu des tests d'intelligence basés sur toute une batterie de tests variés (une dizaine en général), comme la batterie de Wechsler, qui est la plus utilisée dans le monde. Le score de QI, c'est une moyenne des scores obtenus dans tous ces tests. N'est-ce pas réducteur? Si, c'est réducteur, dans le sens où un seul nombre contient nécessairement moins d'information que 10 nombres. Mais ce n'est pas parce qu'il y a moins d'information dans une moyenne que dans l'ensemble des scores, que cette moyenne est sans valeur.

Faisons une comparaison scolaire: dans tous les collèges et lycées, à chaque fin de trimestre, dans tous les examens, du brevet des collèges au master, on calcule des moyennes (pondérées ou pas) des notes d'un élève. Évidemment, la moyenne générale est réductrice par rapport à toutes les notes de l'élève. En fait, cela dépend. Si l'élève a des notes homogènes dans toutes les matières, elle n'est pas réductrice du tout, elle reflète fidèlement les notes obtenues dans chaque matière. Si en revanche l'élève a des notes très hétérogènes, il est bien évident que sa moyenne générale ne reflète pas cette hétérogénéité. Néanmoins il ne viendrait à l'esprit de personne de dire que cette moyenne générale est "n'importe quoi". Elle reflète simplement une performance moyenne à travers différentes matières, tout le monde comprend ce que ça veut dire, et les limites de ce qu'on peut en conclure.

Il en est exactement de même pour le QI. Ce score a les mêmes qualités et les mêmes défauts que la moyenne générale à l'école et dans les examens. En vérité, l'aspect réducteur de la moyenne n'est même pas si grave qu'on ne se l'imagine, du fait que les scores ne sont pas indépendants les uns des autres, mais sont corrélés positivement (voir l'explication du facteur g dans mon article).

Je n'ai pas ici considéré toutes les critiques que l'on peut faire aux scores de QI. Je n'ai couvert que l'aspect réducteur. Pour d'autres critiques, je renvoie à mon article.

Je termine en montrant cette figure que j'aime beaucoup. Elle représente les scores de QI de 500 écossais nés en 1921, ayant passé un test de QI une première fois en 1932 à l'âge de 11 ans, puis (ceux qui étaient encore en vie) une seconde fois en 2000 à l'âge de 80 ans. La corrélation corrigée* entre les deux scores est 0.73.

Scores de QI mesurés à 11 ans et à 80 ans de la cohorte de naissance écossaise de 1921.
Source: Deary, I. J., Whiteman, M. C., Starr, J. M., Whalley, L. J., & Fox, H. C. (2004). The impact of childhood intelligence on later life: following up the Scottish mental surveys of 1932 and 1947. Journal of Personality and Social Psychology, 86(1), 130.
Pour un score qui reflète "n'importe quoi", force est de constater que c'est un n'importe quoi qui est remarquablement stable dans le temps. Je n'ai d'ailleurs pas en tête une autre mesure anthropométrique qui aurait une aussi grande stabilité dans le temps. La taille de l'individu serait le meilleur candidat, mais à condition de la mesurer à 16 ans, car à 11 ans elle est sujette à des variations qui ne reflètent pas nécessairement la taille définitive.

Dans mon article sur l'intelligence, je faisais remarquer que les tests d'intelligence ne sont qu'un instrument de mesure, et que comme tout instrument de mesure, ils ont une précision et une fiabilité limité. Ce graphe montre, que malgré tout, un instrument qui est capable de répliquer une mesure sur un être humain à 69 ans d'écart à ce niveau de fiabilité ne peut être que digne d'intérêt.


* Pour les lecteurs versés dans la statistique, la corrélation est corrigé pour la restriction de variance, qui est due d'une part à l'attrition due à ceux qui sont morts avant 80 ans, et qui touche plus fortement les faibles QI, et d'autre part au léger tassement des QI élevés dû au déclin cognitif.

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