Qui
aurait pu soupçonner Charlie Hebdo de bigoterie? Et pourtant dans son édition
du 27 janvier 2016, Charlie nous sert une double page d'ode aux dogmes
freudo-lacaniens, sous couvert d'attaque en règle de la Haute Autorité de Santé
(HAS). L'hebdomadaire n'en est pas à son coup d'essai: infiltré par la
psychanalyse de longue date, il semble avoir maintenant confié la chronique
freudienne au lacanien Yann Diener qui avait déjà notamment commis deux articles débitant la même
rengaine dans Charlie Hebdo en mars 2015 (voir le commentaire de Jean-Louis
Racca).
C'est
pourtant le même Yann Diener qui avait documenté le caractère sectaire de la
psychanalyse, en produisant une cartographie des scissions ayant
conduit aux multiples églises, chapelles et micro-sectes psychanalytiques,
illustrant le fait qu'en psychanalyse, les débats rationnels fondés sur des
faits observables étant exclus, les désaccords se résolvent nécessairement par
des excommunications et des schismes.
Ce
nouvel article
- fustige toute la médecine fondée
sur des preuves, et en particulier son application à la psychiatrie. Les catégories diagnostiques des
classifications internationales sont moquées, alors que la psychanalyse regorge de catégories bien plus discutables encore. Tout ce qui pourrait améliorer
l'offre de soins en santé mentale est systématiquement dénigré. La loi de
2005 sur le handicap, qui constitue un progrès phénoménal pour les
patients, est dénoncée. De fait, l'intérêt des patients, notamment à être
reçus par des professionnels ayant des connaissances à jour et à
bénéficier de pratiques à l'efficacité prouvée, n'est jamais considéré.
- fait des amalgames grossiers entre
les recommandations de la HAS fondées sur des données scientifiques, et la
mise en œuvre des différentes lois de santé en contexte de restrictions
budgétaires; récupère de manière éhontée le suicide du Pr. Jean-Louis
Megnien; relate des persécutions imaginaires de psychanalystes italiens,
en lieu et place de faits sourcés et vérifiables.
- déploie une rhétorique victimaire
et outrancière calquée sur celle du collectif des 39, dépeignant les psychanalystes comme des résistants
face à un pouvoir totalitaire, alors qu'ils ne font que défendre leurs intérêts catégoriels et financiers, s'insurgeant qu'on puisse leur
demander de mettre à jour leurs connaissances et leurs pratiques, et de
rendre des comptes sur la qualité des soins qu'ils offrent à leurs
patients, bien qu'ils soient financés par l'argent public.
- perpétue les légendes sur les alternatives à la psychanalyse, comme
les méthodes issues de l'ABA (applied behavior analysis), manifestant au passage une méconnaissance totale du sujet.
- ressasse les tartes à la crème les
plus populaires du freudisme: la "découverte scandaleuse" de
Freud, la "blessure narcissique pour l'humanité", qui
expliquerait que les méchants scientistes rêvent de lui "tordre le
cou".
Un
encadré interrogeant une pédopsychiatre hospitalière illustre la rétention de
diagnostic d'enfants ayant des troubles neurodéveloppementaux, la préférence pour
le "soin" (présumé) en institution hospitalière, au détriment de
l'inclusion et de la scolarisation, pratiques malheureusement encore typiques
de bien des services hospitaliers et de bien des médecins, au mépris même de
leur code de déontologie.
Au
final, cet article revendique l'ignorance, l'incompétence et l'impunité totale
pour tous les psys de France.
Sur une page Charlie Hebdo bouffe du curé, sur la suivante il lèche du
gourou. Où est la cohérence?
Pourtant
la psychanalyse se prête merveilleusement à la satire, tant elle regorge
d'énormités. Il est à peine besoin de les pasticher, il suffit de les citer
pour en rire. On peut s'en convaincre en lisant les perles rassemblées sur le
site Freud quotidien.
Mais
on ne rit pas dans l'article de Yann Diener. Les énormités y sont énoncées avec
solennité comme des articles de foi, sans même un sourire en coin: par exemple
"le symptôme est une trouvaille du sujet, interprétable et mobilisable par
la parole", l'idée que l'échec scolaire a nécessairement un
"sens", qu'il faut chercher à décrypter "dans le contexte
familial". Autant de conceptions jamais prouvées qui conduisent,
aujourd'hui encore en France, à rendre les parents (et le plus souvent la mère)
responsables du trouble de leur enfant (le symptôme étant immanquablement
construit par l'enfant en réponse à une relation défaillante). Toutes ces
freudaines sont discréditées depuis des décennies et n'ont plus cours dans les
autres pays que la France. Mais visiblement, à Charlie Hebdo, on y croit dur
comme fer.
On
attendrait de Charlie Hebdo qu'il fasse preuve du même esprit critique à
l'égard des pseudo-sciences et des médecines parallèles qu'à l'égard des
religions. On attendrait qu'il se moque des dogmes psychanalytiques, comme de
tous les autres. On attendrait qu'il ait une rubrique intitulée "la
lacânerie de la semaine" puisant dans les innombrables perles publiées
quotidiennement dans le reste de la presse. On attendrait même qu'il s'offre la
plume du maitre pasticheur Jean-Marie de Lacan. Au lieu de cela, il
choisit de servir la soupe aux gourous freudo-lacaniens. Pauvre Charlie.
Libellés : collectif des 39, handicap, médias, psychanalyse